12.30.2016

Le papa-nouveau

Il a les traits un peu tirés, de jolis cernes mauves, les épaules saillantes et il sait vous parler d’un air détaché et touchant, empli par moment d’une nouvelle patience inouïe : oh, qu’il est chou le papa-nouveau!


Nuits courtes, beuveries lointaines, sexe torride bafoué, désormais sa vie se rythme aux cris d’un nouveau-né et c’est plus fort que vous, vous lui voulez du répit avec l’envie un peu malsaine de se mettre à la place de celle que parfois, dans un moment d’égarement, il appelle lui aussi « maman ». Vous lorgnez les yeux ronds de sa minuscule progéniture, lovée dans une écharpe de portage de baba cool 2.0 qu’il a su nouer par miracle, et faites un peu la sourde oreille à sa conversation sur l’importance des couches bio pour mieux admirer ses mains chaudes, ses muscles ronds qui grossissent de concert avec son poupon et ses cheveux toujours un brin décoiffés. Mal rasé, légèrement abasourdi, le papa-nouveau ne pense pas à mal et c’est justement ce bonheur naïf qui sent la fleur d’oranger et le lait caillé qui vous donne envie d’en faire partie et de vous vautrer, à l’aube, dans la moiteur tiède de son lit conjugal.
Et si c’était toi, qu’il regarde toujours avec amour malgré les vergetures et les seins éreintés ?
Et si c’était lui, le papa-nouveau, comble d’humilité et de patience, qui ne se plaint pas mais laisse deviner une pointe de désespoir entre le changement de deux couches ?
Et si c’était nous, main dans la main au jardin du Luxembourg lors d’un dimanche ensoleillé, bercés dans notre balade par le doux ronronnement d’une poussette qui vaut presque un SMIC ? 
Et si c’était vous, qu’on jalouse parce que votre bébé trop chou s’appelle Arsène, que sa grenouillère en cachemire lui va à merveille et qu’il a un bel avenir à la maternelle Montessori ? 

Oui, vous, qui n’avez toujours pas trouvé de raison valable pour arrêter de fumer et qui assure à toutes les baby-showers de vos copines pour trouver un cadeau qui change, et s’empêcher de sauter sur le futur papa-nouveau. Surtout quand il vient tirer sur votre clope en cachette dans la cuisine.

Quoiqu’il, ce n’est pas une raison d'aller traîner à la sortie des maternités pour en débaucher un, car le papa-nouveau s’épanouit désormais dans une sphère bien barricadée ; au rayon lait en poudre des supermarchés bio, en tribu les dimanches matins (menée par une louve heureuse et hargneuse), couché à 23h, il semble bien insaisissable. Il faut s’y résoudre : vous n’avez hélas plus le même fuseau horaire, le voici parti dans le lointain pays plus ou moins enchanté des bobos reproduits, pour lequel vous n’avez pas encore de billet d’aller. 

Parfois, attablée à la terrasse d’un café, vous aurez l’impression de capter intensément son regard, mais détrompez-vous : ses yeux qui vous fixent, c’est rien que de la fatigue. Sous les pavés, pas de plage. Il faudra attendre quelques mois, quelques années, le temps de vérifier si l’amour dure bien trois ans et si, enfin, vous êtes prête à cesser de fantasmer sur l’insaisissable papa-nouveau pour vous taper… un père célibataire. Tout simplement.