4.23.2011

Le Fan Facebook

On aime tous quelqu’un, ou quelque chose. Etrange constat, depuis l'avènement de la touche "like" de Facebook, on assume allégrement et sans pudeur face à Big Brother et ses enfants nos goûts, sans complexe, que ce soit une marque de PQ qui nous rappelle les années 90 ou le mauvais dessin animé de notre enfance. Nostalgie, quand tu nous plombes… Il y a quelque chose de peut-être résolument positif, à aimer ainsi à tout-va, se la kiffer au sens premier du terme, ça je kiffe, ça aussi, et ça encore. Kiffons en cœur. Like.


Le Fan Facebook, c'est presque pareil, sauf que lui, il est Fan de nous. Éperdument fan du matin au soir. Quoiqu’on fasse, on peut être tranquille : il kiffe. Il likera. Il a toujours aimé ce qu'on fait, et pas au sens du beau parlé baiseur, "j'adore ce que vous faites", à une soirée pourrie, quand on est tous collectivement ivre mort et qu’il suffit d’un vouvoiement pour nous la mettre, non, parce que pour cela il faudra une distanciation quasi brechtienne résolument humoristique, or le Fan Facebook manque cruellement d’humour. Il en est parfaitement incapable, parce que le Fan Facebook n’est pas drôle. Sauf parfois dans son désespoir, mais ça il faut être d’humeur cruelle pour le voir. Son vrai problème, c’est que le Fan Facebook est résolument premier degré. Vraiment. Le Fan Facebook est le maître du premier degré, de la tournure de phrase pompeuse, du mot d'esprit légèrement à côté de la plaque. Tellement premier degré qu’il frise le zéro dès qu’il ouvre la bouche, si vous voyez le genre. 


C’est que le Fan Facebook voudrait bien faire remarquer sa verve brillante à l'esprit brillant qu'il admire tant, là, en face de lui, si proche et pourtant si loin, au goût d’inaccessible... Sauf que le premier degré est au réseau social ce qu'est la morale chrétienne en plein open space : un truc hyper relou. Idem pour les textos, hein.  Le premier degré, c’est la mort du net. Donc oui, évidemment, le Fan Facebook est über relou : toujours à répondre de tout son cœur à chaque réplique, chaque regard, chaque geste. Du genre à dire "tu viens de faire un super beau regard" quand on vient de faire un super beau regard ; du genre à se faire inviter à un tournage pour en voir « les coulisses »… le Fan Facebook sans même s’en rendre compte, suicide son imagination à force de redondance. Et il n’a jamais rigolé quand il a dit « où », et qu’on a dit « dans ton cul ». C’est triste quand même.


Le Fan Facebook, dans son ascétisme humoristique et sa rigueur intellectuelle, aurait pu être proche du mysticisme, ou d'un hyperréalisme à la Nouvelle Vague, mais n'est pas Godard qui veut. Alors, comble de misère, à défaut d'être notre ami dans la vraie vie, le Fan Facebook se contente de "liker" notre statut, blog, autre photo de profil et de nous voir de loin changer de statut de Relationship, écumer les soirées du Grand Paris, et semble même indifférent à notre baisse de régime intellectuel... Quand on aime, on ne voit pas. Mais qui est le Fan Facebook ? Il mange quoi le matin ? C’est quoi son métier ? Bonnes questions. On est sans doute tous le fan de quelqu’un : sauf que ce Fan-là s’est éperdument jeté à travers cette fissure qui l’a fait passé de l’autre côté du miroir, dans l’adoration brute la plus totale. Pourquoi a-t-il de lui-même descendu la marche, chevalier asexué, anachronique et paumé, pour nous contempler sur le piédestal de sa no life? Peut-être espérait-il secrètement être la guest star de ce blog, pardi. 


Alors voilà Fan Facebook, ton grand moment de gloire, c'est maintenant ou jamais : souris, t'es grillé. Pire qu’un portrait Libé.