2.03.2015

Le Collègue de bureau

On a tous un collègue. Le Collègue de bureau là-bas, au bout du couloir, qui va furtivement à la photocopieuse en te lançant un regard de braise - ou pas. Le Collègue de fortune aussi, avec toi derrière le bar qui lave les verres à mojitos de ses doigts doux et mouillés de vaisselle fraîche ; ou encore ce mec que tu croises en mission, de temps en temps, le Collègue par intérim. Bref, le Collègue, c'est pas compliqué, c'est cet homologue masculin qui s’avère être présent sur ton lieu de travail, et d’être présent à être satisfaisant y’a qu’un pas : fantasme idéal, sorte de pause clope mentale ou minute d’évasion, on le mate et on peut s’imaginer des trucs alors qu’il est concentré sur son dossier à se gratter les lunettes. Enfin, le Collègue, c’est aussi le seul mec avec qui l’on peut boire une bière tiède - celle des pots de départ d’un quelconque stagiaire - sans se formaliser, l’interrompant sans scrupule au milieu d’une phrase pour reprendre un Curly, et qu’on va trouver particulièrement séduisant en jean, car hormis en casual friday, il a le look d’un gros plouc.

C’est mesquin un Collègue, quand on y pense : on le voit plus que notre propre mec, il nous connait au naturel, stressée, dans le rush, au bout du scotch, humiliée par une mauvaise réunion client ou bêtement épanouie au sein d’un bel esprit d‘équipe. Il est là, tapi sous sa cravate, entre deux portes, avec son gel dans les cheveux et ses costards cheap, prêt à lancer un "bonjour" tout sourire façon Hollywood chewing-gum pour bien commencer la journée et à t’aider à utiliser le scanner de la photocopieuse si tu galères. Même qu’il sait toujours où y’a des trombones, et qu’en guise de reconnaissance, on s’essaie à nos plus suaves "salut, ça va ?", trois fois par jour, quand on le croise en dehors de l’ascenseur.

Mais ne tournons pas autour du pot : sincèrement, peut-on pécho son Collègue ? Sachez que pendant qu’on se pose la question, y’en a une qui se le fait, comme ce tiers de Françaises et Français qui trouvent l’amour sur leur lieu de travail ; mais elle, en levrette contre la porte des toilettes handicapé planquées du bout du couloir, elle oublie qu’elle risque surtout de faire partie du triste club des chaudasses de bureau qu'on critique dès qu’on a bu une bière chaude de trop, justement, et qu’il n’y avait plus de Curly pour nous éponger le foie ou changer de sujet. 
C'est le risque, mais c’est ça aussi qui est bon avec le Collègue : baisera, baisera pas ? En parlera, en parlera pas ? On a l’impression d’être au collège. À chaque micro évènement, même un déjeuner triste au salad bar dégueu du coin, on est excitée comme une gamine de 14 ans, et on mouillerait presque notre culotte s’il va nous chercher des couverts à la cantine. Ah, la poésie des amours en entreprise : on va chercher des sandwichs à la pause déj’ ensemble et on s’imagine déjà dans une comédie romantique ; et on craint les bruits de couloirs des collègues qui risquent de jaser pour une expédition poulet-crudités ensemble… Soupirs.

Remarques : le fantasme du Collègue a clairement ses limites. Un soir, alors que y’a une collègues-party chez lui et que t’attends de donner suite à la mini pelle qu’il a osé enfin te faire au pot de départ de Régine, le Collègue sera percé à jour : canapé Conforama, meubles Ikéa, trois bouquins perdus dans un coin et rideaux faits par maman, chez lui ça sent la pomme de terre et la tristesse. Le fameux Collègue apparaît d’un coup aussi peu bandant que sa cravate bleu irisée. Alors quoi, on en reste à ce bonjour-bonsoir murmuré entre deux portes automatique ? Aux œillades dérobées dans le hall ? On se méfie de nos hormones, biaisées par le huis clos professionnel et l’esprit corporate ?


Allez, tu verras demain. Quand, en train de te tendre le dernier rapport du dossier Leclerc, ton Collègue de bureau te demandera, en toute sincérité, s’il est bien sapé : il a rendez-vous ce soir. Eh oui : vous n'êtes pas potes, vous êtes collègues. Dans l’open-space ouaté, sa parade en costard avait brouillées les pistes. Et pourtant, tu sens bien qu’elle aura droit à de la bière fraîche, elle, ou du champagne. L’espace de quelques secondes, t’es dégoûtée. Puis tu revois son look Celio, sa coupe au gel et tu te rappelles de son appart...
- Mec, c’est quoi cette cravate ?

Bisou.